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le droit de se reposer à la vesprée, tirait de dessous le poêle ses pantoufles qui chauffaient, et regardait les belles tranches de pain beurrées en tas sur l’assiette.

Puis le café bouillonnait dans les jattes : il avalait le contenu de la première jatte tout d’un coup, pour se faire l’estomac, et s’en versait une seconde, une troisième et même une quatrième, en y trempant, morceau à morceau, les belles tartines de l’assiette.

Voilà, quelle était la vie de tous les jours chez les Lamy, et ils ne demandaient rien de plus, étant heureux comme cela.

Et M. Lamy disait souvent à sa femme :

— Il y aura bientôt vingt-deux ans que nous sommes mariés, et nous sommes toujours comme au premier jour. C’est une chose heureuse, Thérèse, et tout le monde devrait faire comme nous. Oui, tout le monde devrait nous imiter et rester chez soi, près du feu, à fumer sa pipe et boire son verre en lisant le journal, au lieu de courir les cabarets et d’y mener les femmes et les enfants.

Au milieu de tous ces jours qui étaient les mêmes, il y en avait un pourtant qui ne ressemblait pas aux autres : c’était le dimanche. Madame Lamy mettait, ce jour-là, son bonnet garni de ruches à rubans bleus, sa robe de laine brune et son châle de noce, son vieux châle à ramages verts sur fond rouge et jaune, comme les cachemires des grandes dames. M. Lamy tirait de l’armoire son pantalon noir, son gilet de soie, un peu usé aux poches, sa redingote bordée de galon et sa casquette de velours, et ils allaient à la promenade, à moins que M. Muller, un bien digne homme, ne vint les voir.

Or, en face de chez eux, sur le même palier, une pauvre bonne dame qui était veuve, vivait avec son petit garçon.