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car il a rêvé de cuire un bonhomme tel qu’il s’en voit à la vitrine des boulangers la veille de Saint-Nicolas. Oh ! oh ! la tête et le ventre sont visibles sans qu’il soit besoin de mettre ses lunettes. Restent les bras et les jambes. Dolf guide la cuillère d’une main prudente, le nez penché sur son ouvrage avec la peur de verser la pâte trop vite ou trop lentement. Tout à coup il pousse un cri victorieux et fait glisser sur l’assiette de Riekje cette caricature ; mais à peine a-t-elle touché la faïence qu’elle se casse en deux et devient une marmelade où il est impossible de distinguer quelque chose. Il recommence encore et recommencera tant que son bonhomme pourra se tenir droit sur ses jambes. Et pour le rendre plus vivant, il lui mettra alors dans la tête un quartier de pomme, en guise de visage.

— Garçon, dit Tobias à son fils, vous trouverez dans le coin aux copeaux une vieille bouteille de schiedam que j’ai rapportée de Hollande avec trois autres ; mais les trois autres ont été bues et il ne reste plus que celle-là. Vous la prendrez et vous l’apporterez sur la table.

Dolf fit comme son père avait dit et Nelle rangea les petits verres. Tobias ensuite déboucha la bouteille et remplit deux verres, un pour Dolf et un pour lui. Et chacun put voir que c’était, en effet, un bon vieux schiedam, car Tobias et son fils remuaient leur tête de haut en bas et faisaient résonner leur langue avec satisfaction.

— Ah ! ma bru, dit Nelle, ce sera un beau jour pour nous tous, dans deux ans, quand nous verrons sous la cheminée un petit sabot, avec des carottes et des navets dedans.

— Oui, Riekje, ce sera un beau jour pour nous tous, dit à son tour Dolf en pressant dans ses gros doigts la main de sa femme.