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en cette belle nappe profonde, et quand elle l’en retire, de longs filets descendent de tous côtés. Maintenant la poêle siffle et pétille, car la pâte vient de couler sur le beurre bruni, autour des rondelles de pommes que Nelle y a disposées préalablement. Et la première crêpe, roussie sur les bords, bondit en l’air, lancée d’un adroit tour de bras. Dolf et Tobias frappent des mains et Riekje admire l’adresse de la vieille Nelle.

Vite une assiette ! Et la première kœkebakke s’étale dessus, avec la couleur de la sole frite, dorée et grésillante. À qui cette primeur de la poêle ? Elle sera pour Tobias ; mais Tobias la passe à Riekje, et la jeune femme l’ayant découpée en morceaux, en partage avec Dolf les bouchées.

Tobias les regarde manger l’un et l’autre d’un air satisfait et dit à Nelle :

— Allons, femme, je vois que les kœkebakken sont toujours aussi bonnes que la première fois que vous en avez faites pour moi.

Et en reconnaissance de cette bonne parole, une large crêpe juteuse s’abat devant lui, ronde comme les disques que les joueurs de palet lancent au but. Et Tobias s’écrie :

— Le soleil brille sur mon assiette comme quand, du pont, je le regarde briller dans l’eau.

La pâte ruisselle à flots dans la poêle, le beurre chuinte, le feu gronde, et les crêpes tombent à la ronde sur la table, comme une marée de tanches.

— À mon tour, mère, s’écrie Dolf, quand la casserole est près de se vider.

Nelle s’assied près de Tobias et mange deux crêpes qu’elle a gardées pour elle, parce qu’elles sont moins réussies que les autres. Déjà Dolf fait circuler la pâte dans la poêle, mais il ne l’étale pas en rond comme Nelle,