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l’heure. Visiblement elle perdait la tête, se levait sans cause, ôtait ses lunettes et les remettait, ou courait après, alors qu’elle les avait sur le nez ; et quand madame Dubois enfin sonnait ses deux petits coups, ses pommettes s’empourpraient brusquement.

Elle allait lui ouvrir, en pinçant les lèvres, et d’une voix aigre :

— Ne vous gênez plus, Lisbeth. Il sera bientôt huit heures quand vous viendrez. Est-ce permis de faire attendre les gens ainsi ?

Et la grande madame Dubois répondait gravement :

— Oui, Thérèse, il est un peu tard, mais il ne faut pas m’en vouloir. J’ai été retenue.

Bon ! voilà ma tante qui là-dessus, lui sautait au cou et s’exclamait à demi bourrue, à demi tendre :

— Ah ! Je sais ! Ce sont encore une fois vos pauvres, Lisbeth ! Ta ta, ne me dites pas non. Je sais bien ce que je sais, je pense.

Il n’y avait pas une amie que ma tante aimât autant que madame Dubois et pas une qui la mît plus hors d’elle-même. Elle la chérissait et la détestait dans la même minute ; et bien qu’elle se fût jetée au feu pour la servir, elle ne pouvait souffrir qu’elle dît un mot ou fit un geste sans la reprendre et la rudoyer. Certainement on n’a jamais rencontré entre deux personnes d’un âge à peu près semblable une plus grande différence de caractère.

Madame Élisabeth Dubois, qui avait vu mourir en trois ans son mari et ses deux enfants, semblait avoir renoncé à tous les agréments de l’existence ; elle était pieuse, partageait son temps entre la dévotion et la charité, vivait seule, loin du bruit, avec une vieille servante infirme qu’elle soignait et vingt mille francs de rente qui appartenaient à tout le monde, excepté à elle.