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II


Tous les mercredis, dès six heures, la lampe brûlait sur son pied de bronze, au milieu de la table, dans la chaleur de la petite chambre où ronflait le poêle. On entendait la sonnette de la rue coup sur coup grelotter deux fois, puis ma tante allait ouvrir, après m’avoir dit :

— C’est cette pimbêche de Léocadie !

Et, en effet, c’était madame Léocadie Spring, une petite vieille dame maigre comme un clou, jaune, sèche, ridée, à cheveux gris, négligemment vêtue, avec des poches bleues sous ses yeux couleur d’eau brouillée, qui semblaient toujours sur le point de se dissoudre en larmes. Elle arrivait la première et se retirait la dernière, à cause de ses chagrins, qu’elle confiait à ma tante, en particulier, car elle se croyait la femme du monde la plus à plaindre.

— Frottez bien vos pieds, Cadie, criait ma tante dans l’escalier. Vous allez tout salir.

— Mais, Thérèse, vous voyez bien que je les ai frottés en entrant.

— Tenez, sur ce paillasson. Où avez-vous marché que vos pieds sont si crottés, bon Dieu ?

— Mais, ma chère, il a neigé toute la journée. Comment voulez-vous que mes pieds ne soient pas crottés ?

— Bon. Maintenant, montez. Il n’y a rien d’ennuyeux comme de nettoyer une chambre pour des gens qui n’ont pas les pieds propres.

Madame Spring raclait ses bottines sur le paillasson avec une vraie fureur. Certainement elle l’eût mis en pièces si ma tante ne lui eût dit :