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passer pour dame : quand on lui disait Madame, dans les magasins, elle répondait bien vite, avec une moue singulière où il y avait un peu de dépit et de dignité blessée, qu’elle était demoiselle.

— Nous autres, vieilles filles, me disait-elle pourtant, on nous met dans le coin et nous ne sommes plus bonnes à rien. » Et elle affectait de se moquer des vieilles filles et d’elle-même, avec beaucoup de bonne humeur.

Elle était vraiment d’une gaîté tout à fait entraînante, la digne femme, quand elle n’avait ni ses nerfs, ni sa migraine, ni ses engelures, ni quoi que ce soit qui la dérangeât.

Elle riait haut, frappait ses genoux du plat de ses mains, ou jetait ses pieds à terre de toutes ses forces, brusque, hardie, bruyante comme une fille de vieux soldat qu’elle était. Tout le monde d’ailleurs l’aimait, parce qu’elle était franche, ne cachait pas sa pensée et faisait toujours plaisir aux gens quand elle le pouvait, quoiqu’elle parût un peu égoïste par moments et qu’elle mît ses aises au dessus de bien des choses.

L’été, elle allait à la campagne, chez des parents dont elle révolutionnait le ménage de fond en comble par sa brusquerie et ses grands airs ; et elle y emportait avec elle Castor, son vieux petit chien râpé, et Poussette, sa chatte, dans des cabas et des caisses à chapeaux. Elle s’ennuyait là pendant deux mois, jusqu’aux neiges, puis réintégrait son petit appartement, jurant bien qu’elle ne reverrait plus ses parents de la vie ; et elle y retournait l’an suivant.

Alors, vers la fin d’octobre, commençaient les petites soirées au thé qui duraient depuis près de dix ans déjà et où venaient ses vieilles amies, madame Spring, la grasse madame Peulleke et madame veuve Dubois.