Page:Lemonnier - Noëls flamands, 1887.djvu/299

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Utrecht, elle prolongeait son somme, ou le soir, devant son quinquet, lorsqu’elle lisait un roman en faisant glisser de son petit doigt tendu, le long de ses aiguilles, la laine dont elle tricotait ses bas. Ma tante Michel aimait les romans, comme une jeune fille, et elle préférait ceux de Dumas à ceux de Sue, à cause des héros, plus valeureux, et des aventures, plus extraordinaires.

Je la regardais alors, son nez à corbin couché contre le livre, avec des besicles posées sur le bout, ses petits yeux gris courant de ligne en ligne et qu’elle relevait de temps à autre par dessus ses lunettes pour nous examiner, moi, la bouilloire, la minette ou le quinquet. Puis ses mains allaient, allaient, ajoutant les points aux points, si vite qu’on voyait seulement briller quelque chose qui était l’acier poli de l’aiguille ou la corne piquetée de ses ongles ; et une grande broche de jais qui nouait son fichu à son cou reflétait à l’envers le roman, le quinquet et le bel abat-jour à fleurs de soie ponceau, cousues sur un fond de papier. Oui, mes yeux s’amusaient de toutes ces choses, pendant que la bouilloire sifflait, piaulait, ronronnait, hoquetait sur le feu, près de la petite théière en argent estampé. Ah ! la brave théière ! Ma tante Michel ne soupait jamais que de beurrées grillées, de confitures et de bonbons qu’elle trempait dans un mélange de Tchoulan et de Peko ; et je ne sache pas que personne ait jamais mal parlé de son thé.

Ai-je dit que ma tante Michel était une bonne vieille demoiselle, car elle l’était incontestablement, demoiselle et vieille, bien qu’elle n’en tirât pas un égal honneur ? Elle avait soixante ans, n’en avouait que cinquante et mirait complaisamment dans la glace ses joues roses, ses yeux vifs et ses cheveux qu’elle faisait bouffer d’une petite tape de la main. Pour rien au monde elle n’aurait voulu