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la maison, toute faible, et pourtant si puissante qu’elle remplit en un instant l’escalier de la cave au grenier.

— Ah ! se dit Hans avec mélancolie, on n’a pas tous les bonheurs. Avec le nouveau-né m’arrivent des dépenses nouvelles : il faudra payer le baptême et la nourrice et la toilette et l’école, sans compter tout ce que n’a pas payé le soldat, le sergent et le lieutenant.

Mais lorsque la fillette fixa sur lui ses yeux noirs comme du café, un large sourire épanouit la physionomie du bon capitaine et il alluma sa grande pipe en pensant :

— Le major payera les dettes du capitaine.

Ainsi allait la vie pour le bon Hans Bergman ; ainsi va-t-elle pour bien d’autres ; on remet au lendemain ce qu’il faudrait faire le jour même.

Mais les lendemains ne sont pas aussi heureux pour tout le monde que pour le capitaine Bergman, car à peine la fillette sut-elle lire et écrire qu’il fut nommé major.

C’est maintenant qu’il allait songer à se mettre en règle avec son passé !

Il y songea en effet, et beaucoup ; mais un major n’a pas trop de sa solde pour sa maison, ses réceptions et ses chevaux ; un major est un personnage officiel, tellement officiel que ses enfants, ses chevaux, ses domestiques ont un caractère officiel comme lui, et l’on sait ce qu’il en coûte.

Quelle différence avec le temps où l’on était capitaine ! On pouvait ne recevoir qu’une fois le mois, faire des économies, vivre son petit train de vie ; à présent tout était bien changé, et pourtant Hans Bergman n’était pas fier. Il était le père de ses soldats ; on disait en parlant de son régiment, le Bergman régiment ; il distribuait largement aux hommes le tabac