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mière était le souvenir de ses dettes. Ah ! il eût été le plus heureux de tous les lieutenants s’il n’avait pas dû ses épaulettes, ses cigares, sa chambre et quelques douzaines de bouteilles de Champagne ; mais il les devait, et d’autres choses encore. À la longue pourtant, on se console de tout, même de devoir de l’argent, et chaque fois que l’amertume le reprenait, Bergman avait coutume de dire :

— Ne deviendrai-je pas capitaine ? Le capitaine paiera les dettes du lieutenant.

Il devint capitaine, en effet. Il avait quarante ans ; quelques mèches argentaient le bord de son shako.

C’était le beau temps pour se marier : plus tard il n’y faudrait plus songer.

Hans Bergman sentit son cœur tout doucement s’en aller vers la jolie fille des Backwis, vieux négociants retirés. Il eut le bonheur de la voir rougir, lorsqu’il lui parla de s’unir à elle, et ils se marièrent bientôt, comme devraient le faire tous ceux qui s’aiment en cette vie.

Hans Bergman devint en peu de temps le modèle des maris comme il avait été le modèle des sergents et des lieutenants ; jamais il ne sortait sans sa blonde Gertrude, si ce n’est pour se rendre aux exercices ; et le soir, ils allaient à deux prendre le thé chez des amis, ou bien ils recevaient de vieux camarades dans leur chaude petite maison d’époux amoureux.

Quelquefois cependant, ils demeuraient seuls, et ce n’était pas le moment le plus mauvais de la journée. Hans plongeait alors ses yeux, ses bons yeux bleu de faïence, dans les regards de sa petite femme, et les heures se passaient, elle tirant ses grosses moustaches, lui s’enivrant de sa grâce et de sa fraîcheur.

Puis une nuit, une petite voix se fit entendre dans