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ton et ouvrit la bouche comme s’il s’apprêtait à chanter ; mais Leentje posa la main sur l’archet et lui dit :

— Moi, j’aime le violon, mais mon papa ne l’aime pas. Je vous ai demandé si vous n’aviez plus de papa ? Est-ce que vous ne m’avez pas compris ?

Il leva sur Leentje deux beaux grands yeux noirs, doux comme du velours, et haussa de nouveau ses épaules ; mais cette fois un triste sourire plissait le coin de sa petite bouche bien formée.

— Ah ! s’écria tout à coup Leentje gaiement, en frappant ses mains l’une dans l’autre, il veut dire qu’il n’est pas du pays. D’où viendrait-il, Jean ?

Jean fit alors le tour du jeune garçon, les mains derrière le dos, levant et abaissant son long nez de travers pour mieux voir les habits du petit mendiant, et une grimace dédaigneuse plissait le bas de sa grosse figure bien nourrie.

— Tenez, lui dit Leentje, j’ai demandé à mon père un sou que voici et j’y joins trois sous qui m’appartiennent. Cela vous fait quatre sous pour vous acheter un gâteau, car c’est la Noël ce soir. J’ai bien encore vingt sous dans ma tirelire, mais j’ai promis de les donner à la vieille Catherine. Amusez-vous bien : une autre fois je vous montrerai ma poupée. Vous ne la connaissez pas ? Elle a coûté vingt francs. C’est une poupée très jolie.

Et Leentje mit ses quatre sous dans les doigts du jeune garçon. Il eut un beau geste reconnaissant, et de la main dans laquelle Leentje avait glissé les sous, il frappa sa poitrine avec tant de vivacité qu’elle le regarda pour savoir s’il ne s’était pas fait de mal. Il baissa aussitôt les yeux et une grosse larme coula sur ses joues pâles, tandis qu’il portait son argent à sa bouche et le baisait religieusement.