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vu partir, faisaient de grandes glissades devant la maison communale. Il avait des rouleaux tous le bras, enveloppés de couvertures grises sur lesquelles était écrit : « État civil », car M. Mathias Job cumulait les fonctions de secrétaire et d’instituteur dans le village.

Il eût donc pu passer pour un personnage doublement important, si, chaque année, il ne lui était devenu un peu plus impossible de paraître en public avec les avantages de sa position, à cause de madame Mathias Job, qui tous les ans ajoutait aux jeunes Mathias Job déjà existants une fille ou un garçon, selon que cela tombait.

— Bonjour, ami Nikker, dit l’instituteur en entrant. Je vous apporte quelque chose. C’est un petit travail de rien du tout.

M. Job extirpa de ses poches ses longues mains rouges et déploya ses rouleaux. Il n’en tira pas précisément des actes de naissance ou des actes de décès, bien qu’une pareille chose eût semblé naturelle, mais deux paires de souliers qu’il mit devant Claes Nikker, en le regardant avec un peu d’inquiétude.

Nikker prit les souliers dans ses grosses mains noires, les considéra attentivement sous tous leurs aspects et fit aller sa tête de bas en haut cinq ou six fois, comme quelqu’un qui se trouve tout à coup devant une difficulté imprévue.

M. Mathias dit alors avec une certaine humilité :

— Certainement, brave Nikker, ils ne sont plus neufs.

C’était pure bonté à M. Mathias Job de reconnaître que ses souliers n’étaient plus neufs, car vraiment ils n’avaient pas besoin de commentaires ; tout ce qu’on aurait pu dire sur leur compte ne valait pas ce qu’ils disaient d’eux-mêmes. Il y avait une paire de souliers