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farinier. Il fera beau temps ce soir dans les moulins. Voilà la douzième année que je bois à la Sainte-Catherine chez le meunier votre père. Et j’espère bien continuer à boire chez le fils, quand le vieux maître n’y sera plus, Donat.

Mais Donat passe son chemin, indifférent à la joie des domestiques, et il traverse la petite prairie qui s’aperçoit à la gauche du moulin, avec ses dix beaux pommiers, sa haie d’épines sèches et son vieux pont de bois sur le joli Burnot. Il entend au loin le bruit d’un fouet qui claque au vent et il voit venir le long de la haie un joyeux garçon qui chante à côté de son chariot :

— Catherine, sur ses blancs bas, a tiré son manteau blanc, gai ! ai ! ai !

Donat franchit le vieux pont de bois sous lequel le Burnot coule, avec des bouillons d’argent, en écumant autour des pierres. Et l’eau transparente, qui se moire de lueurs sombres sur les cailloux moussus, reflète dans son petit flot froid la triste figure du fils de Taubert.

Où va-t-il à cette heure matinale ?

C’est le moment où la roue commence à ronfler sous l’eau qui bat les palettes, et les sonnailles bruissent en gais carillons autour du garrot des chevaux, car les charrettes vont partir. Damien Taubert a frappé lui-même à la porte de son fils en lui criant : « Donat, lève-toi ! » et il s’est remis au lit ensuite pour un quart d’heure, sachant bien que Donat veillera au moulin, en attendant qu’il se lève à son tour ; mais Donat a bien autre chose en tête et il marche vers les pommiers qui sont au fond de la prairie.

De grands murs noirs, lézardés par le milieu, se détachent derrière la haie sur le ciel gris du matin ; les pommiers les cachent à demi de leurs branches