Page:Lemonnier - Noëls flamands, 1887.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que nous voulons leur prendre leur place, leur or, leurs plaisirs et leurs fêtes. Comme si nous avions besoin de tout cela pour être heureux ! Ils ne le sont pas non plus, allez, et ils vivent dans la crainte de perdre ce dont ils ont les mains pleines. Et qu’est-ce que c’est des voitures, des chevaux, des festins, des domestiques et des salons brillamment éclairés quand le cœur n’est pas satisfait et qu’il n’y a pas fête dans l’esprit ? Voilà pourquoi il faut répéter souvent à ceux qui ont soif et faim des choses qui ne sont pas de leur condition : « Vous avez dans les mains le vrai bonheur ; apprenez à le connaître. Or le bonheur c’est le travail. » Oui, Lamy, il n’y a pas d’homme plus heureux que celui qui travaille. Et pendant qu’il travaille, il pense à sa femme, à ses enfants, à ce que ceux-ci font au moment où il pense à eux, et il se dit : « Dans quelques heures je serai bien fatigué et les bras me tomberont du corps ; mais j’aurai gagné ma journée et je retournerai chez moi en chantant. La mère pèle à cette heure les pommes de terre et les garçons reviennent de l’école en tapant des pieds dans le corridor pour montrer que c’est eux. Bon ! j’entends la bouilloire sur le feu avec son petit sifflement et ses glouglous qui montent et qui descendent le long du goulot ; le pot du poêle est rouge et la houille pétille, tandis que les cendres tombent dans le tiroir, avec de grandes clartés. » Et puis, le soir venu, il marche à grands pas, après avoir allumé une bonne pipe de terre qui étincelle au vent, et il se dit encore : « Le cœur me bat de penser que je m’en vais les voir, les prendre sur mes genoux les serrer contre ma poitrine, tout près du feu, pendant une heure ou deux. Je sens l’odeur des pommes de terre qui fument dans le grand plat de faïence où il y a des hommes bleus qui montent des escaliers bleus, et