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M. Lamy, qui avait ri en dedans jusque-là, se fâcha à son tour et dit :

— Est-ce que Jean ne serait pas un petit peu à nous aussi, par exemple ? Monsieur Muller, je suis bon garçon et je vous aime bien, là, de tout mon cœur, mais il ne faut pas dire que Jean n’est rien pour nous. Ça n’est pas vrai, voyez-vous. Sa mère était notre voisine et nous avons vu Jean tout petit. Oui, il n’était pas plus haut que ça, et je courais à quatre pattes par terre avec lui sur mon dos. Et quand la mère a été malade, je me suis dit : « Tant que je serai là, Jean, il ne t’arrivera jamais malheur. » Vous voyez qu’il est aussi notre enfant, à nous qui n’en avons pas d’autre, monsieur Muller.

— Ah ! c’est comme ça, cria M. Muller. Vous voulez me l’enlever, me le prendre, me le voler ? Comme si ça se volait, un ami, un fils, un frère ! Très bien ! Et vous avez commencé par accaparer la mère morte en vous disant que le fils vivant vous reviendrait plus tard ! Ah ! ah ! très bien. Je vous vois venir. Et un jour, moi, vieux, moi bon à rien, moi qui n’ai que lui, moi qui me livrais à vous, confiant, vous me laisserez là tout seul, sur mon fumier ! Très bien ! très bien !

Et M. Muller, qui commençait à s’attendrir, s’écria tout à coup :

— Ah ! Lamy ! ce n’est pas bien. Vous êtes un brave cœur, mais vous n’auriez pas dû faire cela.

— Si, monsieur Muller, dit Lamy, c’était à nous à payer pour madame Bril. Vous ne pouvez pas tout payer non plus. Nous sommes de pauvres gens, nous, il nous faut peu de chose pour vivre. Tandis que vous, monsieur Muller, vous avez besoin de votre argent pour vous acheter des livres, des plumes, du papier, est-ce