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Il passa du charbon sur le feu et ajouta :

— Oui, j’ai toujours aimé ça, et quand on en a pour dix sous, on a très bien dîné. Et puis, c’est une si bonne chose de se dire en économisant tous les jours un peu d’argent : « Tu vois bien cet argent. Eh bien ! cet argent payera le charbon et la lumière, et ce n’est pas une petite affaire, car on en brûle maintenant, du charbon et de la lumière ! Mais c’est égal, tout sera payé avec cet argent. » Ah ! c’est une bonne chose !

Et un peu après, entendant le grand vent qui battait les toits, et regardant autour de lui combien tout était tranquille dans la chambre : Jean endormi dans le lit et faisant aller mollement sa poitrine sous les draps, le poêle mêlant son ronflement au chant de la bouilloire, et la petite veilleuse dans l’huile éclairant doucement les murs et le plafond, il pensa en lui-même :

— Nous sommes des heureux, nous autres. Il y a tant de pauvres gens courant les rues à cette heure, dans le froid, la pluie et le vent, le nez rouge et les mains bleues. Ceux-là donneraient dix ans de leur vie pour être seulement un an comme je le suis à présent, les pieds au feu, dans un grand fauteuil, ayant bien chaud et pensant à ceux qui n’ont rien. La vie est bien dure pour le pauvre monde !

Puis, comme le poêle répandait une grande chaleur, il s’assoupit, pencha doucement la tête et s’endormit en se disant :

— Quelle fête le jour où Jean pourra quitter de son lit ! Alors je commanderai un beau dîner au Cadran bleu, et je ferai chercher six litres de lambic aux Trois Perdrix. Et l’on boira aussi du vin, car j’en mettrai sur la table. Et nous dînerons ici près du feu, tous ensemble, Lamy et sa femme, Jean et moi, en riant comme des fous. Ça sera amusant !