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chapeau, l’ôta, le remit encore, pensant en lui-même :

— Certainement, s’il s’agissait de moi, je ne lui réclamerais pas mes deux cents francs. Il n’y a rien d’humiliant comme de demander quelque chose quand on n’est pas sûr de l’obtenir et quand on est dans son tort.

Cependant il fit un effort sur lui-même, et au moment où M. Scherpmes se disposait à remonter l’escalier, il l’aborda humblement :

— Monsieur le directeur, vous me feriez grand plaisir en me rendant les deux cents francs.

— Ah ! ah ! fit M. Scherpmes en relevant ses lunettes pour mieux le dévisager.

— J’ai tout à fait besoin de cet argent, et, si vous me le retirez, je serai réduit à courir le cachet, le soir, après les classes.

Il ajouta :

— Ah ! si vous saviez, monsieur le directeur ! J’ai un ami malade chez moi, un ami sans ressources, un enfant, un orphelin ; c’est moi qui le veille, il n’a pour ainsi dire que moi ; je suis quelque chose comme son père ou son frère, et il faudra payer, un jour ou l’autre, le médecin, le pharmacien, et tous ces gens-là.

M. Muller se tut tout à coup, comme s’il craignait d’en avoir trop dit. Il lui sembla qu’il se vanterait en allant plus loin, ou du moins qu’on pourrait croire qu’il se vantait, et il considéra ses pieds gêné, en frappant le bout de son parapluie contre ses bottes. M. Scherpmes se haussa sur ses petites jambes, dressa majestueusement la tête, et fronçant les sourcils derrière ses lunettes d’or, dit :

— Si je comprends bien, vous faites de la philanthropie. Eh bien, monsieur, c’est un tort. Est-ce que je fais de la philanthropie, moi ? Cependant j’ai aussi des