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ment. Quand il ne comprenait pas bien les mots, il les épelait lettre par lettre et les répétait tant qu’il en venait à bout. C’est ainsi qu’il passait ses journées, apprenant de jolies histoires, écrivant ou faisant des calculs d’arithmétique, pour ne pas oublier ce qu’il savait.

Au temps des classes, il rentra à l’école, et comme par le passé, soir et matin, M. Muller vint le prendre et le ramener.

C’était un petit garçon d’humeur sérieuse : il semblait comprendre que la vie est sévère pour le pauvre monde, et à mesure qu’il avançait en âge, sa petite figure chétive paraissait plus triste. Il parlait peu et regardait presque toujours en l’air, de ses yeux bleus, en penchant la tête sur le côté, comme quelqu’un qui pense à quelque chose.

À quoi pensait Jean Bril ? Personne n’eût pu le dire, ni lui non plus, mais peut-être regardait-il passer dans l’air des figures de petits garçons et de petites filles, beaux comme le jour. La moindre chose le faisait rougir, et sitôt après, il devenait très pâle, car sa sensibilité était extraordinaire. Aussi se moquait-on de lui à l’école, et il était souvent battu.

— Lamy, dit un jour M. Muller, qu’est-ce que nous ferons de Jean ?

— J’ai un bon métier où l’on gagne de quoi vivre, répondit M. Lamy. Mais il faut de l’apprentissage et des bras comme des marteaux.

— Non, fit M. Muller, ça n’est pas bon pour Jean.

— C’est juste. Un de mes cousins est menuisier et il est content de sa partie. On scie, on rabote, on ajuste, on cloue et l’on est un peu ébéniste à la fin ; alors on travaille dans l’acajou, le palissandre et l’ébène.

— Oui, dit madame Lamy, c’est un bon métier. Mon père tournait des tables, des chaises, des pieds de