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par centaines. Nous vîmes aussi des lambeaux d’habit, des fragments d’épaulettes, peu de casques, et, particularité singulière, beaucoup de souliers.

Vainement nous nous demandions comment tant de souliers avaient pu être délaissés dans un même endroit. On nous avait déjà dit que les morts étaient enterrés avec leurs habits et qu’il n’y avait véritablement que la giberne, le sac et le shako qui leur étaient enlevés.

Or, beaucoup de sacs et de shakos étaient demeurés sur la pente du talus, et les souliers s’entassaient sur le chemin. Il nous fut permis de supposer que la déroute, comme une eau qui descend des montagnes, avait dévalé la raide déclivité, venant des champs qui sont sur le plateau, et que les fuyards, pour descendre plus vite, avaient tout jeté bas.

Cette débâcle, l’ennemi dans les reins, au bord d’un ravin où il avait fallu se précipiter en se bousculant les uns sur les autres, était quelque chose d’horrible à imaginer.

Presque toutes les armes et la plupart des débris qu’on voyait par terre avaient appartenu à des soldats français. Je relevai successive-