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— Tabac…Tabac.

Nous en laissâmes tomber dans le creux de sa main quelques pincées.

Le pauvre diable eut un large rire de bonheur et nous remercia, la main posée sur son cœur ; puis, comme nous nous enquérions de la route, il nous expliqua, avec volubilité, qu’en allant droit devant nous, nous trouverions un château défoncé par la mitraille et un peu plus loin un moulin à eau près duquel il y avait eu une déroute.

Nous marchâmes alors d’un bon pas.

Bientôt le château se dessina devant nous : il n’y avait plus une vitre aux fenêtres et les murs étaient labourés par les balles, de haut en bas.

Personne n’habitait plus cette sombre demeure ; les rideaux, secoués par le vent, pendaient dans la pluie, des portes grinçaient sur leurs gonds ; et, dévastées, les chambres béaient à l’air, ressemblant à des tombeaux saccagés. Seul, un maigre chat noir, arrondi en boule sur l’appui d’une croisée, semblait survivre à la ruine du reste. Il nous regarda passer de ses prunelles barrées de jaune, mélancolique et doux.