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Le drapeau de Genève flottait sur le pignon : le château avait été transformé en lazaret.

Des troupes allemandes occupaient les Fonds et les maisons étaient pleines de soldats : on les voyait, en bras de chemise, accoudés sur le rebord des fenêtres, fumer la pipe. Par les croisées étroites et basses des rez-de-chaussée, on apercevait aussi, autour de la table de famille, les maîtres du logis debout et les Prussiens assis, prenant ensemble leur repas. Des portes ouvertes sortaient des bruits de voix ; la soldatesque se chamaillait. Et mélancoliquement un cornet à piston trompettait un air du pays, très lent, qu’entrecoupaient les clairons grêles, au loin. Ailleurs, un gros Bavarois doux et barbu s’amusait à faire sauter sur sa tête un gamin qui pleurait, riant beaucoup, ce gros gars, de la frayeur qu’il causait. Dans une grange transformée en écurie, quatre gaillards étaient plantés devant un cinquième qui avait une cravache à la main et tapait du pommeau sur la porte de la grange. Et ce cinquième se démenait furieusement, en hurlant les notes d’un chant. Les quatre autres, de tout jeunes gens, ouvraient de larges bouches, et les yeux roulant dans