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faisait seule sur le noir du champ un trou blanc, immense.

Et nous vîmes ceci :

Celui qui était le plus rapproché des chevaux avait chu sur le dos et l’on ne distinguait que ses deux jambes repliées, les genoux en l’air.

Le second, étendu sur le ventre, reposait à plat, les bras étendus, et ne laissait voir que son dos et son occiput.

Le troisième était tombé sur le flanc et avait mis pour mourir son bras sous sa tête.

La mort, dans la solitude de ces plaines, par cette petite pluie qui embrouillait tout, sous ce ciel d’un gris qui ne finissait pas, donnait au paysage une rigidité terrible.

Si petit qu’il apparaisse, le cadavre remplit le ciel et la terre d’une inexprimable horreur.

Je n’ai jamais mieux senti combien un homme est peu de chose dans la nature, et cependant combien il est grand dans la société.

Ces trois êtres, vagues charognes aujourd’hui, que la pluie et les vers désagrégeaient minute par minute, n’occupaient sur la vaste colline qu’une parcelle de terre presque invisi-