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Nous poursuivîmes vers la Chapelle.

La route était couverte de monde. Hommes, femmes, enfants fuyaient. Par moments on entendait un grand roulement : c’était une ambulance qui passait. De maigres chevaux traînaient des carrioles où l’on avait entassé des lits, des bahuts, des mées : les mâles, chargés d’ustensiles, marchaient à côte. Un vieil homme ou une vieille femme levait parfois son bâton au passage de ces déménagements et demandait à monter, avec un sourire humble. Un paysan, la hotte au dos, s’était attelé, côte à côte avec son bidet, au haquet où s’accroupissait sa famille, et fraternisait au coup de collier, suant, criant miséricorde par toute sa maigre et hâve silhouette. Des fils emportaient leur père sur leurs épaules et les petits enfants s’accrochaient aux jupons des mères. Il y avait des groupes harassés qui se reposaient dans la boue du chemin.

Au détour d’un sentier, un cheval mort mit soudainement sa silhouette crispée. Il avait roulé du talus, dans une flaque d’eau. C’était le premier. Le défilé des cadavres ne devait commencer qu’après La Chapelle.