Page:Lemonnier - Les Charniers, 1881.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Des mères, des filles, des hommes, se mêlaient à ce groupe sombre. Les uns se lamentaient et disaient que les Prussiens leur avaient tout enlevé ; les autres se taisaient ou marmottaient dans les dents des mots, des chiffres, de vagues litanies. De petits enfants à demi nus se pressaient dans les genoux des aïeules, devant l’âtre, et réchauffaient à la flamme leur corps trempé de pluie. Dans un coin, une pauvre femme en haillons pressait de sa main, contre la bouche d’un nouveau-né, sa mamelle aux pointes pâles. Et chacun pensait à sa propre peine, indifférent à celle des autres.

Par moments, un long gémissement sourd s’entendait, entrecoupé par des silences et des sanglots.

C’étaient des villageois de Givonne, de La Chapelle et de Balan qui avaient fui, traqués par les uhlans, les uns à pied, les autres dans les charrois que nous avions aperçus devant la ferme, et ils attendaient les choses prochaines, infiniment navrés et doux.

La mère du nouveau-né, à peine sortie des relevailles, avait été arrachée de son lit et battue à coups de sabre. D’horreur son lait