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moustaches, d’une belle carrure. Entre ses hoquets il appelait : maman.

On annonçait dans les groupes un convoi de cinq cents blessés.

La voiture repartit.

Près de Bouillon, sur la longue route blanche qui s’enroule en ruban aux parois de l’espèce d’entonnoir où s’enterre la ville, une interminable file de voitures et de cavaliers nous croisa.

Les cinq cents blessés défilaient.

Le convoi montait la côte au pas. Il y avait des caissons et des charrettes. Des têtes sortaient de la paille, blêmes, balantes, secouées par les cahots, quelques-unes entourées de loques rouges, et les yeux avaient d’infinies langueurs, au milieu des chairs poissées. Une odeur de carnage traînait sur ce hachis humain. On reconnaissait la moustache française et la barbe prussienne.

Prussiens et Français fraternisaient dans la douleur et l’agonie.

Parfois une main soulevait un képi. Morituri te salutant. Un soldat nous saluait, d’un geste doux et humble,