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Nous traversions successivement des landes, des bruyères et des bois, sous un ciel gris rayé de hachures de pluie. L’horizon plaquait de noir les paysages. On n’entendait dans ces solitudes que le cri du bruant lourdement voletant dans les roseaux, le gloussement de la poule d’eau dans les marais, les querelles des geais et des pies dans les futaies.

Une mélancolie immense suait de la terre amoitie.

Par moments une sourde rumeur lointaine grandissait en se rapprochant : le nez dans les visières, un gros de lanciers passait au galop. Puis le tremblement décroissait ; les hautes silhouettes emmêlées aux crinières flottantes se faisaient petites, au loin. Et le silence recommençait.

À deux lieues de Bouillon, les postes se rapprochaient, le mouvement augmenta ; çà et là couraient des ambulances.

La première que je vis me poigna l’âme.

Il y avait quatre chariots à la file, couverts de baches et bourrés de paille qui s’échevelait aux ouvertures.

Cette paille était sanglante, pareille à une