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arète de poisson, très grande, les épaules et les coudes en pointe, et l’os de ses genoux saillait à travers sa jupe en lambeaux comme sous un suaire. Elle vint à moi et ouvrit tout large ses bras comme pour m’empêcher de passer. Je lui parlai : elle ne me répondit pas. Je l’entendis grommeler méchamment entre ses dents ; elle fit aussi le geste de me battre et s’en alla comme elle était venue, en gesticulant et en frappant sa tête de toutes ses forces.

— Quelque folle, pensai-je.

Et je passai, l’âme déjà endurcie.

Une haute silhouette nue se hissa tout à coup devant moi. Au milieu d’un gazon où la piété des villageois entretenait de pâles fleurs, accroché à sa croix, un Christ peint en vermillon écartait les bras. Au pied du calvaire, deux petites marches, usées par les genoux, servaient à la prière des paysans. Sur la plus élevée des deux marches, il y avait un bouquet de fleurs fanées, et un lézard se chauffait à la lueur d’un furtif rayon sorti d’entre les nuages. Quelqu’un était venu mourir là, car un peu de sang caillé rouillait les marches et des fleurs émergeait la pointe cuivrée d’un casque