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Les petits arbres brisés jonchent le sol de bourrées : par places on dirait la trouée d’une troupe de sangliers. Les noisetiers, les coudriers, les merisiers, couchés à plat, ont été foulés aux pieds. On a fait ripaille dans les taillis : deux quartiers de bœuf écorchés, une éclanche de mouton, l’arrière-train d’un porc, à demi-pourris, répandent une odeur fade et tiède. Des intestins de bêtes, des peaux, des plumes de volailles traînent ça et là dans l’urine et les vidanges.

Je m’enfonce dans le bois : il y a au pied d’un arbre une jupe de femme, un corsage, un bonnet et des bas de laine marqués grossièrement d’un D rouge. Je tremble de découvrir l’indice d’un viol ou d’un assassinat ; je cherche : je ne vois rien.

À dix pas de la mystérieuse défroque, un peu de terre exhaussée, battue angulairement par la pelle, dessine vaguement la forme d’un cercueil. On a planté sur le tertre une branche de mélèze et on a accroché au moyen d’une fourragère jaune deux objets que le vent remue : la croix militaire et un scapulaire en laine rouge usée.