Page:Lemonnier - Les Charniers, 1881.djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Du côté de Balan un gros de uhlans courait à toute bride, apparaissant et disparaissant tour à tour au bord des ravins, au tournant des bois, en plaine et dans les champs, comme de petits points noirs étoilés d’étincelles d’acier.

Des officiers de l’état-major prussien, les jumelles en sautoir, caracolaient par dessus les chevaux crevés, le doigt tendu sur le paysage comme sur une carte. Un groupe de vieux capitaines échinés, avec des barbes de patriarche tombant sur le nombril, les cheveux aplatis derrière les oreilles jusque dans le cou, inspectaient la plaine du haut d’une butte à travers des lorgnettes qu’ils soutenaient à deux mains.

L’énorme plaine brune mamelonnait dans un demi-jour ardoisé et rayé par l’ondée.

Je la contemplai longtemps : des tas de choses sans vie gisaient partout.

Je remarquai que les talus, aux deux côtés de la route, étaient labourés par un grand passage d’hommes et de chevaux : les fers de chevaux surtout avaient entaillé le sol de demi-cercles profonds. Sur les hauteurs, des ornières polies