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Le tremblement de la fièvre secouait les amputés, leurs dents claquaient, on entendait leurs poumons faire heu ! heu ! chaque fois qu’ils respiraient. À boire ! À boire ! criaient-ils en se tordant les bras.

Un Prussien mourut au moment où je passai près de lui. De ses doigts crispés il faisait le pli des agonisants dans le pan de sa capote. Brusquement il se dressa sur son séant, terrible. C’était fini : il retomba aussitôt après. Il avait le crâne ouvert.

Deux hommes s’approchèrent ; on prit le mort par la tête et les pieds et on le porta dans la sacristie.

Je suivis les hommes. Un reflet de soleil traînait dans les pénombres humides, vague et doux. J’aperçus plusieurs civières, les unes par terre, les autres debout contre le mur.

Sur une des civières, deux cadavres déjà rigides étaient étendus : le Prussien fut mis dessus, en travers.

Un vieux monsieur décoré, à moustaches grises, brusque et sec, qui venait d’entrer après moi, se pencha vivement sur la civière, repoussa des deux mains la tête du prussien et regarda dessous les cadavres.