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seaux dans ses crevasses, la muraille barrait d’une raie coupante un ciel barbouillé d’encre. Non loin, des corbeaux sautillaient sur une charogne en croassant, et un à un, s’enlevaient lourdement dans l’air en emportant au bec une proie, que leur vol remuait sous eux, comme de la vie. Çà et là il y avait des débris de caissons, des armes, des sacs et un affût brisé. Au milieu de cette désolation les deux chevaux se léchaient les naseaux et s’entrelaçaient le cou. L’entier avait dans le flanc une large plaie de laquelle suintait le sang, coagulé sous le ventre en rouges glus. La jument boitait de la jambe droite, traînant sur ses paturons enflés. Et constamment ils revenaient l’un vers l’autre, s’embrassant dans un grand rut saignant ! La jument trébuchait, frissonnante, et l’entier, avec un chevrotement grêle, essayait vainement de se mettre debout. Ce groupe farouche se démenait ainsi, en haletant, dans la désolation de cette solitude.

Nous trouvâmes un peu plus loin, en descendant vers Givonne, des campements de cavalerie. Les chevaux étaient au piquet. Comme c’était l’heure du picotin, on voyait