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Des groupes se formaient par places et causaient à voix basse. Chaque fois qu’ils grossissaient, les soldats allemands s’approchaient pour les disperser. Tout le monde se taisait aussitôt, on se débandait et l’ameutement se formait plus loin. Des voix persistaient cependant ça et là, hautes et encolérées : mais elles étaient de suite réprimées.

Les hommes qui composaient ces groupes étaient très défiants : ils osaient à peine regarder devant eux, de peur de se trahir, et faisaient peu de gestes, comme des gens qui se surveillent. On voyait ces mêmes hommes courir de droite et de gauche sournoisement et causer bas aux autres. Une certaine animation sourdait alors parmi ces derniers, et les plus turbulents réprimaient malaisément le désir de la révolte. Plus d’un me regarda avec des yeux menaçants et j’entendis chuchoter les mots : Gare aux espions !

Il m’arriva de tirer quelque monnaie de ma poche et de la vouloir donner à ceux qui souffraient le plus ; mais ils écartaient de la main ce que je leur offrais et me demandaient du pain. À force d’entendre le même cri, la colère me