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sus, puis un même nombre d’hommes était monté sur les premiers, et pêle-mêle, pour avoir un peu chaud et ne pas coucher dans la boue, on avait dormi en litée compacte.

— De la paille ! avaient crié le premier jour les soldats.

On était demeuré sourd.

— Du pain ! avaient-ils crié ensuite.

On ne leur en avait pas donné.

Les vieux regardaient d’un air sombre les Prussiens et préféraient mourir plutôt que de leur demander quelque chose. Ils montraient le poing aux sentinelles et crachaient de leur côté en trépignant de fureur. Quand la faim les tenaillait, ils se mettaient à rire aux éclats pour se tromper eux-mêmes ou mâchaient dans leurs dents le bout de leur ceinturon de cuir. Les jeunes se lamentaient et parlaient de leurs familles avec des voix profondes et douces. Ils tendaient la main vers moi, gémissant :

— À manger !

J’étais impuissant : une douleur me suffoquait. Je serrais leurs mains et je leur disais :

— Je n’ai rien. Mais espérez : je reviendrai.

— Vite ! vite ! disaient-ils, nous mourons !