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soufflant sur leurs doigts pour les dégourdir. Des malheureux n’avaient plus d’habit et rôdaient en claquant des dents, ployés en deux, les bras croisés sur la poitrine. Il y en avait, du reste, qui préféraient ôter leurs habits et se mettre en bras de chemise à cause de la rigidité du drap percé. Comme je passais, un soldat faisait des efforts pour ôter ses bras de sa capote et n’y parvenait pas, tant la capote était raidie. Je pris les manches et je tirai. L’homme n’avait plus qu’un lambeau de chemise sur l’estomac, ses bras étaient nus. Il me fit tâter sa capote : on eût dit du linge tordu au lavoir. De grosses plaques rouges marbraient ses bras et sa poitrine. Il suait dans les cheveux et grelottait dans le dos.

— Le fils à papa n’ira plus loin, me dit-il avec une grimace mélancolique.

On avait allumé des feux la nuit ; les feux s’étant éteints faute de bois, ces misérables avaient voulu se réchauffer en courant : on leur avait défendu de courir. Alors ceux qui avaient des sacs les avaient mis par terre l’un contre l’autre, et trois ou quatre hommes, selon la quantité des sacs, s’étaient couchés des-