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lueur claire de leurs sabres au port d’arme. Un cordon de cavalerie doublait le cordon de l’infanterie ; des patrouilles de cuirassiers faisaient incessamment le tour du camp.

Les Français étaient parqués sur la terre nue, sans tentes ni sans abris, comme des bêtes. Depuis trois jours qu’il pleuvait, on les avait laissés dans le même endroit et ils couchaient sur un sol trempé par les eaux. Il arrivait que ceux qui passaient la nuit à terre ne savaient plus se relever au matin et on était obligé de les mener aux ambulances. On en trouvait aussi qui étaient froids et ne bougeaient plus : c’étaient les morts. Tous les jours il fallait en emporter des tombereaux : on les empilait l’un sur l’autre après avoir constaté leur identité et on les enterrait dans les champs.

Des amis avaient imaginé de se mettre dos à dos et demeuraient debout, sommeillant sans dormir. La plupart étaient tellement harassés qu’ils vacillaient comme des gens ivres et il en tombait ça et là sur les genoux et sur le flanc. Quelques-uns avaient gardé leur sac et ils s’asseyaient dessus, accroupis en eux-mêmes et