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On frappa à coups redoublés à la maison voisine.

Une fenêtre s’ouvrit et une voix cria : Qui va-là ?

On répondit en allemand.

J’allai voir. C’était un officier, apparemment logé dans la maison et qui s’était attardé.

Par moments le galop d’un cheval lancé à fond de train faisait retentir la rue comme une enclume. Quelquefois le cheval s’arrêtait court, un appel coupait l’air, quelqu’un répondait, et le galop continuait à marteler le pavé.

J’écoutais se perdre au détour des rues les pas du vainqueur rôdant dans la nuit, au milieu d’une solitude que troublait seule, de ses lentes coupetées, l’heure sonnant aux églises.

À minuit, les sabres cliquetaient encore sur les trottoirs et les querelles recommençaient à tout bout de champ entre deux ou plusieurs voix courroucées.

Des groupes passaient en riant : on devinait des trognes allumées, largement crevées par l’hilarité, avec des rutilements fauves de prunelles, des lèvres lubréfiées, la joie carnassière de mordre à belles dents la chair française. Je