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— Voici une ville, me disais-je, où l’ennemi règne partout en maître et qui est aussi mal à l’aise qu’un homme assis sur une mine. Il est très vrai que cette ville ne bouge pas et que l’ordre y paraît régner. Mais que tout à l’heure un soldat ou un bourgeois, quelqu’un, par exemple, dont on insulte le drapeau ou dont on souille la fille, tire un coup de revolver sur un Prussien, je ne donne pas six heures pour que Sedan soit anéanti jusque dans ses fondements.

Les Sedanais raisonnaient comme moi, et, vivant dans les transes, redoutaient les conseils de l’héroïsme à l’égal des trahisons.

Après dîner, nous fîmes le tour des rues. Nous visitâmes l’endroit où l’homme qui a marqué en rouge deux mois du calendrier et que l’histoire soufflettera indifféremment avec septembre et décembre, vit tout à coup la fortune lui tourner le dos.

On ne pouvait approcher de lui et il était entouré de la garde, des généraux et d’innombrables laquais en casaque rouge qui se remuaient comme des mouches pendant l’orage. Un témoin m’a conté qu’il paraissait abruti.