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se ruait sur cette viande publique. Dans les rues la soldatesque coudoyait le passant, le toisait des pieds à la tête, lentement et dédaigneusement. On en voyait qui étaient assis dans des postures abruties sur les bornes au coin des rues ou sur les garde-roues à la porte des habitations. Quand une femme en sortait, ils se faisaient des clins d’yeux et riaient bêtement en mâchonnant des obscénités. Des bandes de dix à quinze hommes obstruaient le milieu de la voie, s’épendant par moments du côté des maisons et tassant les femmes contre les murs.

Les chevaux étaient étrillés sur les trottoirs : quelquefois les domestiques enlevaient du crottin jusque sur le palier des vestibules. Une odeur d’écurie traînait dans l’air.

Un fantassin califourchonnant une maigre carcasse ramassée dans les champs, frappait des talons dans le ventre de la pauvre carne. Elle ne bougeait pas, s’immobilisait dans une torpeur stupide au milieu de la rue. Alors le soldat se mit à taper les naseaux à pleins poings, rouge, furieux. Cette bourrade arracha la bête à sa somnolence ; elle fit un immense effort, partit des quatre fers et, affolée, s’allongea à