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taché sous son doigt la dernière note, ils restèrent silencieux comme des gens sous le charme ; puis tout à coup, avec une extrême volubilité, ils se mirent à parler en allemand, et parfois l’un chantait un bout de phrase en faisant des grimaces béates, tandis que l’autre, pivotant sur son tabouret, jouait avec componction la phrase au piano.

Au bout d’un quart d’heure, ils se retournèrent vers nous. On n’aurait pu trouver de meilleurs garçons, et lorsqu’ils nous eurent parlé de leurs familles, les larmes aux yeux, nous nous demandâmes comment des gens si inoffensifs pouvaient se transformer en d’abominables massacreurs.

L’un était le fils d’un boutiquier de Cassel : sa mère et ses deux sœurs l’avaient accompagné jusqu’à la gare quand il était parti et l’avaient embrassé plus de cent fois en lui fourrant dans les bras des camisoles, des caleçons, des plastrons et des tricots. Et il essuyait à tout bout de champ ses lunettes qui se mouillaient, tandis qu’il nous racontait, en poussant de gros soupirs, les jeux du dimanche, le soir, sous le rayon de la lampe, quand Wilhem