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taient en avant comme des débris de guillotines entassés.

Les cavaliers causaient entre eux, le plus souvent à voix basse, parfois très haut, quand ils se chamaillaient. Alors ils ne se gênaient pas pour s’insulter très platement. Il nous parut bien qu’il était question de nous et qu’ils disputaient au sujet de l’argent.

Beaucoup d’arbres avaient été emportés par les obus et gisaient en travers de la chaussée. Des chevaux, ou plutôt d’informes squelettes, les uns debout, les autres accroupis, broutaient ça et là les écorces. Au passage des voitures, sentant des camarades plus heureux, ils cessaient de manger et hennissaient. Deux de ces malheureuses bêtes se mirent à galoper derrière nous, cahin-caha, en boitant affreusement, et l’une d’elles, encore sellée, clopinait sur trois jambes, le paturon gauche ayant été emporté.

Les prussiens s’amusaient à leur allonger des coups de fouet.

À mesure qu’on approchait de la ville, les chevaux étaient plus nombreux et on les rencontrait par groupes de trois, quatre et cinq,