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plus pleurer, et nous ne sommes bonnes qu’à crever.

Tout ce pauvre monde se couchait par terre dans les braises chaudes, le mieux qu’il pouvait, ou tombait d’épuisement sur la première poutre venue, dans des attitudes d’agonisants. Les mères enlevaient de leurs épaules des morceaux de corsages pour en couvrir les jeunes enfants, et ceux-ci pleuraient de froid en montrant leurs petits bras rouges. Les vieillards se tordaient les mains et gémissaient tout haut, voyant qu’il ne restait plus rien du village où ils avaient compté mourir entre leurs enfants. Et ils disaient :

— Qu’avons-nous donc fait, Dieu bon, pour que nous soyons ainsi frappés ? Nous avons amassé, sou à sou, de l’argent pour nos fils afin qu’après nous ils travaillent moins que leurs pères. Et le soir, assis près du feu, nous disions entre nous : bientôt il nous faudra quitter la vie, mais nous la quitterons sans regrets, parce que chacun a son tour en ce bas monde et que nos fils, avec ce que nous leur laisserons, vivront mieux que nous. Voici à présent que notre espoir s’écroule comme un