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leurs silhouettes grandies démesurément par l’heure. On eût dit d’énormes paralytiques tendant leurs moignons sur des lits d’hôpital. Et l’horreur croissait.

Une aventure bouffonne se jeta en travers de ces sombres contemplations. Elle nous prouva que les paysans n’avaient pas tout à fait tort quand ils nous avertissaient de nous mettre en garde contre les hasards du chemin.

L’un de nous, ayant découvert un lapin dans un buisson, tira son revolver et tua le lapin.

Le coup parti, une demi douzaine d’Allemands sortirent en courant d’un bouchon qui était sur la route et nous tombèrent sur le dos, en criant et gesticulant.

Tant que nous leur parlâmes français, ils voulurent avoir le lapin que nous leur disputions de notre mieux et ils disaient :

— Ya ! Ya ! Lapin pour nous !

L’un de nous qui baragouinait l’allemand leur expliqua que nous avions plus que personne des droits au lapin, puisque nous l’avions tué. Ils se mirent à rire et finirent par nous demander du tabac. Seul, un gros garçon qui avait l’air d’un marmiton et qui roulait des