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toute leur longueur, paraissaient avoir servi d’abord à masquer des tirailleurs : on tirait vraisemblablement sur la plaine qui se déploie devant.

Une grêle de balles avait labouré les taillis. Les gros arbres, criblés comme les cibles des tirs, laissaient voir en éclats le bois sous l’écorce, et les petits, coupés en deux, jonchaient le sol de bourrées.

En face, la plaine montait à travers des labourés jusqu’à l’horizon livide. Une dizaine d’hommes, parmi lesquels il y avait des paysans français et des troupiers allemands, se mouvaient autour de vastes fosses où l’on achevait d’enterrer les morts. Des chevaux hérissaient les terres brunes de leurs charognes couchées jambes en l’air, et par moments une odeur nauséabonde nous arrivait avec le vent.

Le jour baissait ; comme il arrive par les temps de pluie, à mesure que la plaine s’obscurcissait, des clartés aiguës comme des tranchants de glaives blanchissaient les nuées du ciel.

Des caissons sur trois roues et des affûts de canons brisés projetaient dans le crépuscule