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Par une coutume de décorum, quand Monsieur dînait avec eux, ils prenaient le repas du soir dans cette vaste pièce dont les fenêtres sans volets joignaient mal et qu’une empilée de bois dans l’âtre ne parvenait pas à chauffer. Même au cœur de l’hiver, ils demeuraient là, les membres grelottants, avec la petite spirale de buée que faisaient les baleines sous le froid des plafonds.

Barbe, ce soir-là, s’était jeté aux épaules une vieille palatine épilée par-dessus un châle de laine. La grosse lampe à l’huile grasse que Sybille était allée prendre dans la chambre de couture éclairait son front bombé, candide et lisse sous ses cheveux d’un gris de poussière, tirés vers les tempes. Toute une vie de jeune fille de petite noblesse sans titre, élevée pauvrement en un chef-lieu de province, se peignait sur sa mine humble, dolente et effacée. Elle était la fille de ce chevalier Idesbald de Lanquesaing, employé à la mairie, que la congestion, un matin, foudroyait sur le seuil d’une église. Comme il tombait à la renverse, un jeune homme, qui marchait derrière eux, le reçut dans ses bras. En les ouvrant sur un cadavre mou et chaud, Jean-Norbert de Quevauquant ne prévoyait pas qu’il les refermerait bientôt sur la simple et bonne Barbe, détournée ainsi du Christ auquel d’abord elle s’était crue promise.