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l’hallali

À bout de détresse, les jambes fauchées, il se laissa choir. La nuit floconnait en étoupes molles et humides ; la grande lune farouche de la lande l’enveloppait, inerte comme un caillou à ras de terre. Il eût trépassé là sans un gros chien de ferme qui, ayant rompu l’attache et cherchant aventure, manqua de happer. La vie aussitôt lui redevint un bien appréciable qu’il lui fallut défendre contre la férocité de la bête. D’un coup de talon forcené, il lui démantibula les crocs et la mit en fuite, hurlante. S’il avait eu sa trique, il se fût acharné, l’eût démoli à petites fois avec une joie mauvaise.

Cette secousse le remit ; il sentit lui revenir son endurance de paysan violent, sournois et combatif. Ah ! les hommes des portraits dans l’escalier avec leurs belles mines et leurs habits d’or ! Ils n’avaient eu qu’à faire l’amour, guerroyer, soutirer la sueur de leurs serfs. Lui, il était le serf titré, leur pareil par le nom mais un manant par la peine ! Un Quevauquant était devenu le vassal d’un Quevauquant ! Comme d’une guenille tordue, il s’était exprimé la bile et le sang pour regouler l’ogre et par après lui rebâtir la tanière. Et voilà qu’un Lechat le menaçait de lui filouter l’héritage ! Enfant, dans le crépuscule de Pont-à-Leu, il avait assisté aux derniers hallalis, le cerf forlancé, la meute pendue en grappe