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L’HALLALI

tenailles, on lui eût arraché de mauvaises dents. Il s’en alla, criant :

— Aie ! Aie ! Douze mille et trois !

Lechat le vit s’enfoncer dans le soir qui tombait. Sa plainte en arrière de lui traînait, mêlée au sifflement d’un accès. Lui, l’homme riche, riait, ayant là sa vengeance.

— Bien des choses à ces dames, cria-t-il de loin.

Cette fois, c’était bien la fin de tout. L’argent de ses pots, depuis tant d’années raclé sur leur lésine de pauvres gens et qui devait être son aumône de paysan à la misère illustre des ancêtres, ne servirait à rien. Les siens et lui auraient inutilement subi la colique du froid et de la faim, épargnant l’huile, la bûche et le pain, vivant sur le squelette de leur grand Pont-à-Leu rongé jusqu’à l’os, comme des rats sur un mort ! Il repensa à leur vie de gueux, aux heures noires dans le champ et derrière la vitre, aux échéances qui les saignaient à blanc, à l’épargne sou à sou mise mûrir dans des coins secrets, à sa condition ravalée de petit homme pauvre des basses terres. Lui, le sang des Quevauquant, nanti de l’écusson authentique où, par delà toutes bornes, jusqu’au ciel ruaient les deux étalons magnifiques, il avait, l’égal des piétailles vermineuses terrées