Page:Lemonnier - L'Hallali, sd.pdf/245

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
l’hallali

Jean-Norbert le sentit à sa merci. L’affaire était de le tuer très vite, comme par accident ; ce n’eût été presque point un crime. Mais il visa ; une suprême fébrilité fit chanceler son âme, et maintenant, comme si tout à coup il eût été transporté au saint tribunal de Dieu, cet homme avait des sanglots, faible comme un enfant.

Le baron haussa les épaules et le méprisa, sans pose, d’un faste d’humanité naturel. L’heure tragique était passée : il avait joué inutilement sa vie, avec l’insouciance des grandes races aventurières pour qui la mort n’est qu’une aventure après toutes les autres. Il revint vers la table, prit le flacon des mains du grand Gédéon, et l’achevant d’un trait :

— Tu m’as donné soif, polisson, dit-il.

Puis il lança la bouteille contre le mur.

Il y en avait quinze sur la table, qu’ils avaient apportées de l’auberge. Le vin sur le bois ressemblait à du sang.

Soumis et vaincu, Jean-Norbert rétrocéda d’un pas, mais Grupet, fait celui-là aussi, d’une plume de l’aigle, dur avec ses pareils, insolent avec les pauvres, sans bravoure toutefois, l’interpellait en le tutoyant contre son habitude.

— Vois-tu, not’ Jean-Norbert, faudrait pas trop jouer avec les fusils ! Des fois ça part tout seul.