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— Ce sont de jolis sentiments, m’sieu Lechat, s’écriait Barbe.

Sybille de Quevauquant haussait les épaules.

— Je vous plains : vous devez être tourmenté parfois par les remords.

— Penh ! on se fait à tout, mais tout de même, trop de sentiment…

Elle cessa de l’entendre, l’œil à ses petits chevaux, une ivresse de vent, d’espace et d’odeurs aux narines. L’air sentait la résine, la bruyère et les feux de genêts. Un grand silence autour du petit ronflement sec des roues, du cliquetis clair des gourmettes et du tic-tac des fers sur le pavé. Elle tenait ses mains un peu haut avec une joie singulière d’y sentir jouer le cuir des rênes, et comme le soleil les dorait, c’était devant elle le point clair de six lieues de fagne rousse, miroitée d’eaux. Elle goûta soudain la conquête, la domination, le mépris dur de la basse humanité qui là-bas l’enserrait et qui, ici, en ce valet de seigneur, la frôlait. Toute sa race reperça, l’âme orgueilleuse et tragique des amazones de la lignée : d’un rire sauvage elle l’eût versé dans une de ces mares qui arrivaient bordoyer la route si sa mère n’eût été avec eux.

Lui la regardait de côté, le petit trou noir des prunelles biglant dans un plissement d’yeux rusé, avec une moue d’homme finaud et sûr de ses écus