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l’hallali

si haut que pareil au cheval étincelant du chevalier Saint-Georges, tu parus marcher par les chemins du ciel, on t’entendit rythmer tes foulées par-dessus le vide à pic, moi-même, en jaquette écarlate, soudé à la selle et sentant à mes genoux s’enfler ton large souffle égal. Puis d’un tête à queue te retournant, tes sabots à même les ardoises du toit, je te ramenai par le même chemin, l’encolure souple et frémissante, sans qu’un flocon d’écume savonnât à ta gourmette, sans qu’une mouillure de sueur ternît le poil lisse de ton flanc. Ah ! Vieux, ce furent là de beaux jours ! Ton cœur héroïque dans un autre âge t’eût mis aux naseaux le hennissement des labeurs fabuleux ; tu fus bien l’emblème vivant de nos armoiries ; tu aurais mérité la gloire d’être à jamais honoré, sous ton nom, dans l’armorial des bêtes illustres, lions et licornes en qui s’incarnèrent l’honneur, la force, la grâce et l’empire du monde. Et voilà ce qu’ils ont fait de toi ! Les clous du licol ont écorché vif ton garrot ; tes vertèbres, sous ton cuir déchiqueté par la dent des rats, sont disloquées comme les chevêtres de nos toits en ruine. Ma parole, tu ressembles, mon pauvre Bayard, au cheval de l’Apocalypse en personne. Ton sillon, d’une ruade, va s’achever dans les étoiles en attendant qu’un jour prochain, à mon tour, je