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l’hallali

ses futaies. On n’était pas obligé alors de se faire la main sur des lapins comme aujourd’hui.

Son unique ennui était de ne pouvoir se baigner, toutes les eaux étant prises. Par contre, depuis que la neige s’était consolidée, il avait repris ses marches à travers la campagne. Chez les gens de Pont-à-Leu, c’était une aubaine quand il arrivait, guêtré de ses houseaux de cuir et faisant sonner dans ses goussets tant les louis de sa rente que ceux qu’il empruntait à ses vassaux. Comme Piéfert de nouveau complaisamment se laissait soutirer de l’argent, ils étaient redevenus de bons amis. À l’auberge surtout, chez le gros Camus, le baron se retrouvait le vrai maître et seigneur qui frappait sur les tables, pulvérisait les verres à coups de bottes et pinçait l’oreille aux pucelles. Lui-même, d’habitude sobre, s’entonnait à son gré comme une outre, aimant faire étalage de son endurance. Sa jactance éclatait dans la superbe dont il disait :

— Moi, je ne pisse que deux fois le jour, matin et soir, en disant mes prières.

Un respect, malgré tout, s’imposait devant son grand air de gentilhomme débraillé qui, par orgueil, acceptait de se laisser rançonner comme un vieil aigle que de vulgaires oisons plumeraient.

Ce fut, cette fois, le messager, homme sûr, qui,