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paire de planchettes et se les étant fixées aux pieds par des courroies, un matin partit au petit jour pour la chênaie. Ses patins lui permettant de glisser sur la neige sans y enfoncer, il put s’avancer jusqu’à une faible distance, du bois. Un coup de lance soudain perça les frimas ; il put constater le désastre. Une dizaine, parmi les plus beaux des chênes, étaient écroulés, leurs cimes comme arrachées, le long des troncs ravinés de déchirures.

Toute la mort de la terre aussitôt remonta au cœur du paysan ; les pieds fauchés, il ne fit plus un pas, lui-même comme mort dans cette aube blafarde d’hiver. Puis, la lumière, jaillie comme un sang malade des ampoules célestes, tout à coup montait, s’épandait, rosissait le bois. Les chênes, écorchés dans leur hauteur, ressemblèrent à de démesurés troncs mutilés, tout saignants de vie rose. Comme une bête blessée, il eut deux larmes lentes aux yeux ; elles s’arrêtèrent à mi-joues, tout de suite congelées, et il ne savait pas même qu’il avait pleuré.

Le gel dura près de dix jours : le poil en raidissait aux narines. On ne se souvenait pas d’un tel froid. Seul, le Vieux haussait les épaules, disant que c’était le bon temps, celui qui autrefois faisait sortir les loups ; il se rappelait d’un hiver où il en avait tué plus de cinquante dans